MOUSTAFA

La conversion d'un musulman à Christ a parfois un prix élevé.

Une Bible et un Coran étaient ouverts sur le bureau. Un homme dans la trentaine caressait sa barbe noire en considérant les textes.

- C'est incroyable, marmonna-t-il.
La fenêtre était ouverte et le bruit de la circulation montait jusque dans l'appartement de Moustafa. Il semblait particulièrement sensible aux sons qui constituent normalement un bruit de fond subconscient. Les voitures, les autobus et les camions avaient chacun un klaxon à la mélodie différente et leurs bips et autres beuglements composaient une sorte de symphonie. 

Il pouvait presque deviner l'humeur de chaque conducteur, dont la gamme s'étendait entre les petits coups amicaux jusqu'aux longs rugissements courroucés, ce qui d'ailleurs ne semblait pas changer grand-chose au grondement constant de la circulation qui essayait de s'écouler dans les vieilles rues étroites de la cité. On aurait parfois dit que chaque véhicule klaxonnait de déplaisir de devoir attendre encore trente secondes avant d'avancer de quelques mètres. La chaleur oppressante de l'été n'était pas encore descendue sur le pays du désert, et le ventilateur au plafond de Moustafa tournait doucement à bas régime. 

L'appel à la prière du muezzin résonna depuis la mosquée de l'université à quelques centaines de mètres. Il assistait souvent à la prière du soir, et continuait avec les réunions de sa confrérie des Frères Musulmans.
Ils restaient souvent dans la mosquée, s'asseyant en cercle sur le sol pour étudier le Coran. Mais aujourd'hui, il ne pouvait se résoudre à aller prier. Lui qui avait souvent insisté sur le fait qu'un musulman n'avait aucune excuse pour ne pas prier - même malade, il priait avec ses yeux en les ouvrant et en les fermant pour indiquer qu'il s'agenouillait et se prosternait en direction de la Mecque -, mais aujourd'hui il n'arrivait pas à sortir de ses réflexions.

Moustafa s'appuya sur le dossier de sa chaise et pensa un moment à sa jeunesse, passée dans un village près de Souk al Khamis. Que penserait son père de lui maintenant? Il avait trois frères et quatre sœurs, mais son père avait toujours exigé le maximum de lui. Moustafa avait suivi les cours de l'école coranique du village, et son père l'avait poussé à retenir de longues portions du Coran afin de remporter les prix en argent offerts aux élèves qui pouvaient réciter trois sourates.
Un cousin l'avait recruté dans les Frères Musulmans, organisation née en Égypte dans le courant des années 1920, avant de s'étendre dans d'autres pays du Moyen-Orient. Son cousin avait nourri sa soif de connaissance en lui donnant des livres écrits par Hassan al-Banna, le fondateur des Frères Musulmans, et d'autres penseurs fondamentalistes comme Sayyid Qutb, dont l' ouvrage «A l'ombre du Coran », rédigé alors qu'il était en prison, avait inspiré des milliers de jihadistes dans tout le monde musulman.


Au fil du temps, Moustafa était même devenu trop radical pour son père. Le fils avait accusé ses parents d'être incroyants. Son père protesta:
- Je prie, je jeûne, et j'accomplis tout ce que demande le Prophète. Paix soit sur Lui.

Moustafa avait répliqué:


 - Ce n'est pas suffisant. Il faut que tu confesses que la société dans laquelle nous vivons est infidèle, et que tous ceux qui ne prient pas sont des athées.
Puis il dit à son père: 

- Ma mère est une mécréante car elle ne prie pas; alors si tu es un vrai musulman, tu dois divorcer car l'islam interdit d'être marié a une Incroyante.
Son père l'avait frappé et l'avait jeté hors de la maison et il était parti dormir chez l'un des Frères Musulmans.

Leur engagement dans l'islam radical avait poussé Moustafa et ses amis à terroriser la petite communauté chrétienne, en volant dans les magasins chrétiens de Souk al Khamis et des villages environnants. Il n'avait jamais considéré cela comme du vol, c'était le jihad. Les textes islamiques enseignaient que les chrétiens devaient soit payer la jazya, un impôt spécial perçu sur les juifs et les chrétiens qui ne voulaient pas devenir musulmans, soit être tués. Le fait que son pays tolère les dhimmis le rendait furieux! Aucun pays musulman n'était vraiment consacré à l'islam et à la Charia. Les Frères Musulmans étaient déterminés à changer cela.

Moustafa avait porté ce message aux pays voisins du Moyen-Orient. Il déclarait avec passion que les rois et les émirs et tous les hauts fonctionnaires des gouvernements devaient gouverner uniquement par l'islam et rejeter tout ce qui se rapproche des systèmes juridiques occidentaux. Son franc-parler l'avait fait jeter en prison, puis expulser vers son pays natal. Depuis lors, il concentrait ses efforts sur le campus universitaire de la capitale et recrutait pour les Frères Musulmans. Le cheik qui animait la cellule locale aimait l'engagement de Moustafa et exploitait sa vivacité intellectuelle en lui faisant écrire de petits tracts.

C'est à l'une de ces occasions qu'il connut une crise dans sa foi. Il avait entendu parler de missionnaires chrétiens arrêtés pour avoir tenté de convertir des musulmans au christianisme. Moustafa en fut tellement furieux que le cheik lui avait proposé d'écrire un livre décrivant les déviations de la foi chrétienne. Pour cela, Moustafa devait lire la Bible. Il allait prouver que la Bible avait été modifiée ou même falsifiée comme l'enseignaient de nombreux érudits musulmans. 

Mais comment pouvait-il prouver que le livre était un faux s'il ne pouvait pas le comparer à l'original? Il s'était inspiré de critiques du « Saint Livre » rédigées par plusieurs auteurs, mais lorsqu'il considérait les versets cités par ces auteurs dans leurs argumentations, il se rendait compte qu'ils étaient différents, ou même, dans certains cas, qu'ils n'existaient pas. Ensuite le cheik lui avait conseillé les travaux d'Izhar al-Haqq, dont les arguments semblaient plus rationnels, mais son livre comportait les mêmes erreurs que ceux des autres érudits.

Moustafa avait décidé de se concentrer d'abord sur les prophéties de la Torah (les cinq premiers livres de la Bible) et de l'Injil qui font référence au prophète Mahomet. Il n'arrivait pas à trouver le nom de Mahomet dans la Bible, mais trente-six textes étaient censés le désigner. Il avait lu avidement le premier d' entre eux, Genèse 49.10 :

« Le sceptre ne s'éloignera point de Juda
Ni le bâton souverain d'entre ses pieds,
Jusqu'à ce que vienne le Schilo, 
Et que les peuples lui obéissent. »

AI-Haqq avait dit que « le Schilo » était Mahomet, mais lorsque Moustafa avait fait des recherches pour prouver cela sur les plans linguistique, rhétorique et légal, il en était arrivé à la conclusion que Îsâ, le Christ, accomplissait la prophétie beaucoup mieux que Mahomet.

Il était passé à Deutéronome 18.15 : « L'Éternel, ton Dieu, te suscitera du milieu de toi, d'entre tes frères, un prophète comme moi: vous l'écouterez! » Al Haqq avait expliqué que les fils d'Isaac et les fils d'Ismaël étaient frères et Mahomet était donc un frère des fils d'Isaac. Mais lorsqu'il regardait dans le Coran, il y trouvait que le prophète devait être un Arabe et parler l'arabe. Le texte de la Torah parlait d'un prophète hébreu parlant l'hébreu. Si ce prophète était Mahomet, alors le Coran était faux. C'était là une pensée dangereuse.

Moustafa s'était épuisé sur cette étude, et avait conclu qu'aucun des trente-six textes ne parlait de Mahomet. Et maintenant, il contemplait ce verset de la sourate « La Table » du Coran: « Si les gens du Livre avaient appliqué la Torah et l'Évangile, et ce qui est descendu sur eux de la part de leur Seigneur, ils auraient certainement joui de ce qui est au-dessus d'eux et de ce qui est sous leurs pieds. » Le Coran affirmait l'autorité des Écritures juives et chrétiennes. fi se tourna alors vers la sourate 3.84 et lut: « Dis: 'Nous croyons en Allah, à ce qu'on a fait descendre sur nous, à ce qu'on a fait descendre sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus, et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux prophètes, de la part de leur Seigneur. Nous ne faisons aucune différence entre eux; et c'est à Lui que nous sommes soumis'. » 
 
Mais comment le Dieu chrétien pouvait-il être Allah? Il avait lu dans les évangiles: «Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux. »Allah commandait exactement le contraire dans le Coran. Dans la sourate « le Repentir », Dieu commandait: «Tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez- les et guettez-les dans toute embuscade. » Il était impossible que les deux soient un seul et même Dieu. Il était impossible que les deux livres, la Sainte Bible et le Coran, aient raison tous les deux. Même s'ils s'accordaient sur certains points, les différences étaient frappantes. L'un des deux devait se tromper.

L'heure de la prière était passée et le flux d'activité de la rue était revenu à la normale. Mais maintenant, Moustafa savait ce qu'il devait faire. Il devait prier : 
 
- Allah, Dieu, quel livre est le vrai? Montre-moi lequel est le bon.
Un sentiment de paix se répandit sur lui, et Moustafa eut la certitude que Dieu lui révélerait la vérité.


************************


Boutros attendait toujours avec impatience de rencontrer Pasteur Youssef, le plus vieux pasteur de l'église Al Waha. Pendant plus de vingt-cinq ans, Pasteur Youssef avait été le pasteur de l'église et l'avait fait grandir au point qu'elle était la plus grande communauté évangélique du pays. 


Beaucoup d'autres pasteurs le reconnaissaient comme guide spirituel et mentor. il aimait passionnément rendre la Bible accessible à tous et ses sermons étaient faciles à suivre. il avait aidé à la traduction du Nouveau Testament en arabe courant car la traduction de la Bible en arabe ancien, utilisée depuis des décennies, était archaïque et difficile à lire pour de nombreuses personnes.

Peu après son retour d'Angleterre, Boutros avait rendu visite au Pasteur Youssef, et depuis, il rendait régulièrement visite à cet homme de Dieu débonnaire pour être conseillé et encouragé. Lorsqu'Ahmed s'était enfui dans la capitale, Boutros avait appelé Youssef. Ce dernier avait contacté un membre de l'église qui louait plusieurs appartements. ils avaient ainsi pu trouver un refuge pour Ahmed.

Aujourd'hui, Boutros racontait à Youssef ce qu'il avait appris en visitant les églises dans tout le pays, et les projets qu'il nourrissait. Ils parlaient aussi du besoin que Boutros avait de trouver un bureau et si possible des collaborateurs.
- J'aimerais beaucoup que tu aies un bureau juste à côté du mien, admit le Pasteur Youssef, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Tu es en train de développer des relations avec toutes les dénominations, alors ton bureau doit être dans un endroit neutre. Mais plusieurs volontaires de l'église sont d' accord de t'aider.
À ce moment-là, le secrétaire de Youssef ouvrit la porte et annonça: 
 
- Pasteur, il y a un certain Moustafa qui voudrait vous voir.
- Excuse cette interruption, dit Youssef à Boutros. Mon secrétaire sait que chaque fois que quelqu'un en recherche demande à me voir, c'est une priorité pour moi.

Un homme maigre et barbu entra dans le bureau. Youssef et Boutros se levèrent pour l'accueillir.

- Je ne sais pas pourquoi je suis ici, leur dit Moustafa en leur serrant la main.
- C'est peut-être Dieu qui t'y a conduit, lui répondit Youssef. Il présenta Boutros et ajouta:
- Es-tu d'accord pour qu'il reste? Peut-être pouvons-nous t'aider tous les deux. 
 
Moustafa regarda les deux hommes et laissa éclater sa frustration : 

- Voici la sixième église où je me rends. Dans les cinq premières, on m'a dit de m'en aller.

Youssef sourit et lui dit: 
 
- Tu es le bienvenu ici. Assieds-toi. Veux-tu une boisson fraîche?
Alors que les trois hommes buvaient du soda, Moustafa parla.
- J'ai écrit plus de trois cents questions que je me pose, leur dit ce membre des Frères Musulmans. Le Coran est-il la Parole de Dieu? Si la Bible est vraie, alors pour qui est-ce que je vis?
Youssef lui répondit gentiment, avec un grand sourire: 
 
- Trois cents questions, c'est beaucoup. As-tu trouvé des réponses?
Il était facile de comprendre pourquoi Youssef, qui venait d'avoir soixante ans, avait gagné la confiance de tant de personnes, et pourquoi les musulmans qui venaient le voir s'ouvraient à lui.
- Je ne sais pas. Peut-être que je crois que la Bible est vraie. Je ne trouve aucune preuve comme quoi elle a été modifiée...
- Bien, c'est un début. Alors quelle est la question qui te trouble le plus?
Moustafa, agité, se pencha en avant pour répéter les questions des maîtres islamiques:
- Comment Dieu peut-il avoir un fils? Comment Dieu peut-il être un homme? Il est trop saint, trop grand, trop sublime. Il n'a besoin de rien. Vous dites que Jésus était Dieu. Mais il a eu besoin de nourriture. Il est allé aux toilettes. Comment Dieu peut- il aller aux toilettes? C'est un blasphème!
Moustafa se rassit, satisfait de cet argument logique et continua: 
 
- Et vous dites que Jésus a été crucifié. Lorsqu'il a dit qu'il avait soif, comment a-t-il pu permettre qu'ils lui versent du vinaigre dans le gosier? Comment Dieu peut-il connaître un tel état de faiblesse? Et aussi, si Dieu n'a besoin de rien en dehors de Lui-même, comment se fait-il que Jésus soit allé prier au temple? Cela voulait dire qu'il avait besoin de Dieu, ce qui prouve qu'il n'était lui-même qu'un prophète.
Youssef sourit et répondit: 
 
- Ce sont de bonnes questions et nous avons de bonnes réponses. Nous croyons que Jésus était pleinement Dieu et pleinement homme. En tant qu'homme, Jésus a partagé toutes les nécessités d'une existence physique. En tant que Dieu, il peut faire du bien à tous ceux qui acceptent son salut, et du mal à ceux qui le refusent. Les chrétiens ne voient pas de problème à ce que Jésus prie. Cela faisait partie de sa communion avec son Père. Le Coran aussi dit que Dieu prie. La sourate 33.43 dit: C'est Lui qui prie sur vous [c'est-à-dire les musulmans], ainsi que Ses anges, afin qu'Il vous fasse sortir des ténèbres à la lumière.
Pendant un instant, Moustafa parut désorienté que Pasteur Youssef cite le Coran. Puis il se pencha en avant et dit: 
 
- Mais si Jésus est le Fils de Dieu, cela veut dire qu'Allah s'est marié et que le Fils n'est pas éternel.
- Le Coran décrit Jésus comme une Parole de Dieu et l'Esprit de Dieu. L'Injil appelle Jésus le Fils que Dieu aime et en qui il trouve son plaisir. Ces trois phrases signifient qu'Isâ vient de Dieu. C'est le but des deux livres - décrire d'où vient Jésus. Ne pense pas à cela en termes de Dieu épousant Marie et ayant un fils. Ce n'est pas ce que le Coran ou l'Injil disent.
La paternité de Dieu n'est pas physique mais spirituelle, continua Youssef avec une étincelle dans l'œil. Dieu est aussi notre Père, c'est le même principe. Et je suis son enfant, même principe. C'est en réalité une analogie pour nous aider à comprendre un peu ce qui en fait est bien au-delà de notre compréhension. Les termes Père et Fils sont utilisés pour expliquer la relation entre Dieu le Père et Jésus, sa Parole éternelle. Les deux sont en dehors du temps. Les deux sont unis dans l'Esprit Saint...

- Ce que vous appelez la Trinité, l'interrompit Moustafa. Vous croyez en trois Dieux?
- Non, un Dieu, mais trois personnes.
- Un plus un plus un égalent trois, proclama Moustafa.
- Dieu n'est pas un concept mathématique, répondit Youssef, ne reculant pas devant la confrontation. Aucune écriture, qu'elle soit chrétienne ou musulmane, n'interprète « uni- cité » comme signifiant que Dieu n'a qu'un seul attribut ou une seule caractéristique. Il s'arrêta sur ces mots, ouvrit les bras et lui dit: 
 
- Mon ami, nous ne pouvons pas répondre à toutes tes questions à la fois. Mais les réponses existent. Je t'invite à prendre ton temps et à poser tes merveilleuses questions.
Moustafa écouta et caressa sa longue barbe. Le calme régna un instant dans le bureau. Boutros se contentait de regarder.

Puis Moustafa admit qu'il avait des problèmes:
- Il y a un mois, j'ai eu une vision. Un homme dans une longue robe blanche m'est apparu et m'a dit: «Je suis celui que tu cherches. Lève-toi et lis dans le Saint Livre ce qui me concerne. »

- Et qui penses-tu que cet homme était? demanda Youssef.

- Jésus. 
 
Moustafa fit une pause.
 
- Je t'ai dit que je faisais partie des Frères Musulmans sur le campus, mais j'ai commencé à m'en écarter. Le cheik s'en est rendu compte et, il y a deux jours, il est venu chez moi et m'a accusé de ne plus croire. Je lui ai dit que c'était de sa faute. Il m'avait encouragé à lire la Bible et à écrire une réfutation. Il a essayé de prendre mes papiers mais je l'en ai empêché. Alors il m'a dit: 

- Tu es un athée. Tu vas quitter le groupe et cesser d'enseigner.
- Alors que vas-tu faire?
- Je voudrais continuer mes études, mais je ne pense pas être en sécurité dans mon appartement.
- Tu as besoin d'un endroit où habiter? demanda Youssef.

Moustafa hocha la tête. Youssef se tourna vers Boutros et lui demanda:
- Penses-tu que notre ami Ahmed aimerait avoir un colocataire?

* * * * * * * * * *


Après deux heures de voyage, Ahmed était arrivé à destination et cherchait l'adresse où il devait rencontrer deux responsables de chrétiens d'origine musulmane lorsque son téléphone portable se mit à vibrer. Il le tira de sa poche, l'ouvrit et entendit Salima crier dans son oreille.

- Ils ont eu Moustapha et Hassan. Il faut que tu t'en ailles. Maintenant!

Ahmed n'avait jamais entendu sa femme dans un état pareil.


- Salima, calme-toi. Dis-moi ce qui se passe. 

Ahmed laissa le temps à Salima de retrouver son calme. 
- Je viens de recevoir un coup de fil, lui dit-elle. Une voix m'a dit: « Nous avons les amis de ton mari. Et vous êtes les prochains. » 

- Ils t'ont menacée?
- Non, je pense qu'ils voulaient que je te transmette un message.
- Je rentre...
- Non, ils veulent de l'argent.
- Je peux être là dans deux heures.
- Non, ne reviens pas. C'est sûrement un piège.
- Salima, prends ton temps et dis-moi exactement ce qu'ils t'ont dit.
- La voix m'a dit de ne pas appeler la police, ou alors Moustapha et Hassan seraient tués.
- Chérie, s'il te plaît, commence depuis le début.
- Je suis désolée, j'ai peur.
- Bien sûr que tu as peur. Mais j'ai besoin de comprendre exactement ce qui se passe.
 


 Salima prit une profonde inspiration.

- Il n'a pas dit grand-chose.
- T'a-t-il donné son nom?
- Non, pas de nom, pas de groupe. il a juste dit: « Dis à ton mari que nous avons ses amis. » Et puis il a ajouté: « N'appelle pas la police, ou tu ne les reverras jamais vivants. »
- D'accord, nous n'allons pas appeler la police. Pour l' instant.
- Il a dit qu'ils voulaient de l'argent.
- Combien?


Salima lui donna le montant et Ahmed soupira.


- Je ne sais pas si je peux avoir tout ça.
- Ils doivent penser que nous avons beaucoup d'argent.
- Je viens juste de payer les salaires. Tu m'as vu le faire ce matin.
- Peut-être que Boutros pourrait nous aider?
- Nous avons jusqu'à quand?
- Il m'a dit qu'il me rappellerait demain pour me donner des instructions.
- OK. S'il te plaît, reste calme. Écoute-moi. Je veux que tu appelles ma sœur et que tu ailles chez elle ce soir.

Salima renifla et répondit:


- Oui, je vais l'appeler.
- Et moi, j'appelle Boutros. Nous devons voir ensemble ce qu'il faut faire.
- Ahmed, j'ai vraiment peur.
- Bien sûr, mon trésor. Mais tu dois rester calme...
- Il ne faut pas que tu rentres à la maison. L'homme a dit que si tu ne faisais pas exactement ce qu'il disait, il allait te tuer.
- Salima ?
-Oui?
- Je t'aime.
- Je t'aime aussi. Tu vas être prudent?
- Tout ira bien. Il ne faut pas paniquer, mais prier et faire confiance à Dieu. Je garde mon portable allumé. Appelle-moi s'il se produit quoi que ce soit.

* * * * * * * * * * * *


Moustapha ne savait pas où il était. Il avait été forcé de rester sur le sol à l'arrière de la voiture qui cahotait le long du chemin de terre. Hassan avait été emmené dans une autre voiture. Le groupe, apparemment composé de huit hommes, était arrivé dans une ferme éloignée et les voitures s'étaient garées dans une grange où se trouvaient du bétail et du matériel agricole. 

Hassan avait été conduit à une extrémité du bâtiment et Moustapha à l'autre. Ils avaient tous les deux été dévêtus. Alors que deux hommes tenaient Moustapha par les bras, un autre lui hurlait:
- Apostat! pourquoi luttes-tu contre l'islam ?Moustapha protesta, mais son accusateur continua: 
- Que fais-tu avec ma sœur?
- Je suis désolé, mais qui est votre sœur ?
Un coup de poing dans l'estomac lui coupa le souffle.

- Fatima! Tu reconnais ce nom?
Un autre coup le fit vomir, et il serait tombé si les deux hommes ne l'avaient retenu par les bras.
- Espèce d'apostat! hurla l'homme. Pourquoi mets-tu des pensées impies dans l'esprit de ma sœur ?
Moustapha n'avait aucune idée de qui était la sœur de cet homme. Il présuma qu'elle suivait l'un des cours d'alphabétisation tenus par la femme du pasteur. Il avait pour politique de n'admettre que des chrétiens dans ces formations, mais quelques musulmans souhaitaient recevoir cette instruction. On lui avait rapporté que plusieurs femmes musulmanes avaient commencé à y assister, et la femme du pasteur n'avait pas le cœur de les refuser.

Un autre coup sur sa tête l'assomma presque mais il entendit son accusateur lui dire:
- Tout ce dont ma sœur a besoin, c'est du Coran. Elle n'a que faire de toutes ces pensées chrétiennes occidentales.

Un cri venant de l'autre côté de l'appentis attira l'attention de tout le monde.
- J'ai trouvé quelque chose sur l'ordinateur de ce mécréant!

Leur chef ordonna aux deux hommes qui tenaient Moustapha de l'attacher, puis il se dirigea à grands pas de l'autre côté de la grange. Moustapha n'opposa aucune résistance tandis que les deux comparses lui attachaient les mains derrière le dos, les pieds ensemble, et le poussaient vers une chaise en bois branlante. Il entendit l'homme qui regardait dans son ordinateur dire:
- Regarde! leur ONG "Al Kalima" et les noms des étudiants de ce mécréant!
- Très bien, s'exclama le chef. Copie-moi ça, et on s' occupera d'eux plus tard. Mais je voudrais trouver qui s'occupe de cette organisation. Y a-t-il des adresses et des numéros de télé- phone là-dedans, peut-être une liste de contacts-clés?
- Je regarde.

Moustapha entendait le cliquetis des touches de son clavier pendant que l'homme parcourait les différents fichiers.
- Il y a beaucoup de documents, là-dedans! dit la voix.
- Tiens, voilà quelque chose: « Comment devenir chrétien. » C'est traduit de l'anglais. Et c'est la preuve qu'ils font du prosélytisme.
 
- Entendu! mais je veux le nom des responsables et leur réseau. Qui les finance? 
- Ce n'est pas dedans. Puis, après quelques instants, la voix ajouta : 
- Je pense que c'est tout. Que devons-nous faire avec ce mécréant?
- Flingue-le, répondit le chef.
 


Moustapha tressaillit et cria:

-Non! 

L'un de ceux qui l'avaient ligoté le frappa à la tête. Moustapha entendit le cliquetis d'un pistolet, puis la déflagration d'un coup de feu se répercuta dans toute la grange.

* * * * * * * * * * * * *
Ahmed priait avec ferveur, comme jamais auparavant. Il fut stupéfait de ressentir une paix surnaturelle descendre sur lui, comme s'il était enveloppé d'une chaude couverture par une nuit glaciale.
- Mon Seigneur Jésus, protège mes amis Moustapha et Hassan. Protège ma femme, Salima, et donne-moi un esprit clair et dirige mes pas.
Il décida immédiatement qu'il devait assister aux réunions prévues cet après-midi et ce soir-là. Avant d'entrer dans la maison pour rencontrer les responsables chrétiens d'origine musulmane, il appela Boutros sur son téléphone portable et lui fit brièvement part de la situation.
- Que devons-nous faire? lui demanda-t-il.
- Je peux te trouver l'argent, soupira Boutros, mais je ne suis pas certain que c'est ce qu'ils veulent!
- Et pourquoi?
- Je pense que c'est juste pour tenir la police à l'écart jusqu'à ce qu'ils en aient fini.
- Mais que veulent-ils?
- Toi. Moi. Quiconque a un rapport avec notre œuvre. Ahmed,je suis désolé, mais je pense que tu es en grand danger. Peux-tu venir en ville?
- Oui, je pense. Mais... et mes réunions?
- Tu as raison. Ne change pas ton programme. Fais ce que tu as prévu aujourd'hui, puis viens vite ici. Appelle-moi quand tu arrives en ville, et je te dirai où me retrouver.
- Et Salima ?
- Tu ne dois pas lui dire où tu vas. Moins elle en sait, mieux ça vaut pour vous deux. Peut-elle aller chez quelqu'un de ta famille?
- Je lui ai dit d'aller chez ma sœur.
- Très bien. Que Salima aille chez ta sœur pour le moment.

* * * * * * * * * * * * * *


Moustapha n'eut pas le temps de pleurer le meurtre de Hassan. Il sentit des bras vigoureux le relever et lorsqu'il ouvrit les yeux, le chef se tenait tout près de son visage.
- Tu ne te souviens pas de moi, pas vrai ?
Moustapha chercha dans ses souvenirs. Le visage, avec sa grosse barbe, lui était vaguement familier.
- Non, tu ne te souviens pas de moi. Tu étais le brillant et futur leader de notre mouvement. J'étais juste une nouvelle recrue. L'imam n'avait pas de mots pour parler du grand Moustapha. Tu étais le musulman fidèle qui nous était un exemple pour tous...
L'homme cracha au visage de Moustapha et le repoussa sur la chaise, qui s'écroula sous le poids et explosa en plusieurs morceaux. Moustapha tomba sur le côté.
- Tu avais un tel talent pour écrire, ajouta l'homme. J'ai lu tout ce que tu as écrit. Tu étais tellement convaincant. C'est grâce à toi que je fais maintenant partie des Frères Musulmans. Tu étais supposé écrire la grande argumentation contre le christianisme.
Moustapha ne vit pas le coup venir et le prit de plein fouet dans l'estomac. Les deux brutes le relevèrent, mais Moustapha se plia en deux pour vomir. Tout tournait autour de lui. Il essaya de penser clairement, réalisant qu'il n'avait probablement plus que quelques minutes à vivre. Il comprenait maintenant pourquoi il était là. Il avait trahi les Frères Musulmans et ce jeune fanatique venait se venger.
- Alors que s'est-il passé? ricana celui qui l'interrogeait.

Les deux voyous tirèrent Moustapha pour le relever, le forçant à se tenir debout et à regarder son accusateur, qui avait maintenant un cimeterre à la main.
- Tu as lu ce livre corrompu, n'est-ce pas? Comment quelqu'un de si bien peut-il ainsi se faire avoir?

Vif comme un chat, son accusateur le frappa avec le sabre, le plongeant dans le ventre de Moustapha. En le retirant, il dit: 

- Voici ce qui arrive aux apostats. Allah nous récompensera de vous avoir effacés de la surface de la terre.
Et il le frappa à nouveau. Moustapha rassembla toutes ses forces pour regarder son assaillant et lui dit:
- J'ai trouvé la vérité : Isâ... Il a aimé le monde. Il est mort pour toi.
L'agresseur n'eut pas l'air de l'entendre. Combien Moustapha souhaitait pouvoir annoncer à cet homme la Bonne Nouvelle! il était surpris et reconnaissant de ne pas ressentir la douleur. Les mots coulaient dans son âme: 

- « Il s'est humilié Lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, même la mort de la croix. »
Son accusateur, juge et bourreau l'agressait sans relâche.

- Tu peux être sûr qu'on fera pareil à tes amis

Moustapha pouvait à peine respirer et son esprit s' obscurcissait tandis que le monde autour de lui s'estompait. 


- « C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et Lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » 

Il crut voir le Seigneur qu'il aimait par-dessus tout. Il voulait partir, aller à sa rencontre. Le Dieu qui avait subi la honte était maintenant honoré au dessus de tous. 

- « Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre. »...




Tiré du livre « Chrétiens de l'ombre » par Frère André et Al Janssen (Coédition Portes Ouvertes/Ligue pour la lecture de la Bible)

Il existe une vidéo qui a été conçue à partir du récit de sa conversion (le prénom a été changé).




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